Paris, le samedi 4 septembre 2021
A l’attention du médiateur d’arte et du rédacteur en chef du journal de 19h45
De nombreux survivants du génocide de Srebrenica, des associations bosniennes en France et en Suisse et des associations de soutien à la Bosnie-Herzégovine en France comme en Suisse ont été profondément choqués par la diffusion, le lundi 30 août 2021 à 19h45, d’un reportage de 3 minutes sur votre chaîne portant sur la réception de loi du 22 juillet contre le négationnisme du crime de génocide de Srebrenica et de tous les crimes commis en Bosnie-Herzégovine, reportage signé par M. Roussey, G. Brossard et N. Scepanovic. Nous sommes d’autant plus choqués que nous apprécions le journal d’arte comme étant un des rares à parler régulièrement de la Bosnie-Herzégovine, et de Srebrenica en particulier. Nos associations souhaitent déposer une réclamation et un droit de réponse auprès de la rédaction du journal d’arte, via le médiateur de la chaîne. Nous souhaiterions aussi être reçu par le médiateur et/ou un membre de la rédaction.
Ces trois reporters ont fait le choix de donner la parole, aux côtés, d’une victime, Mme Almasa Salihovic, et d’une universitaire de Sarajevo, Mme Zlatiborka Popov Momčinović, à Walter Manoschek, qui affirme dans sa très courte intervention, qu’il n’y a eu que des crimes de guerre à Srebrenica et sa région, et laisse entendre que la cause du crime de génocide des civils Bosniaques serait dû aux exactions commises contre des civils serbes par des éléments de l’armée de la République de Bosnie-Herzégovine. Il s’agit de deux arguments négationnistes du crime de génocide de Srebrenica, parmi d’autres, entendus depuis 1995, et qui consistent à changer la qualification et la nature du crime pour le minimiser et effacer les caractères intentionnels et planifiés de ce crime commis par les Serbes de Bosnie, appuyés par Belgrade.
M.Manoschek, membre de la commission mandatée par la « République serbe de Bosnie » sur le génocide de Srebrenica est présenté dans ce reportage comme professeur de sciences politiques à l’université de Vienne, mais il s’agit en fait d’un idéologue et d’un faussaire, qui se place hors de toute déontologie scientifique, et dont les motivations sont idéologiques et racistes. D’un point de vue journalistique, faire le choix de donner la parole à un négationniste dans un sujet sur le négationnisme, ce n’est pas exposer un avis contradictoire ou une opinion, mais bien prendre le risque d’accorder publicité et médiatisation à des individus responsables d’apologie de crime de génocide et susceptibles de poursuites pénales. Il aurait été absolument nécessaire de contextualiser, même en quelques mots, cette intervention dévastatrice. Pourquoi les reporters et la rédaction ont fait le choix de laisser ces assertions sans commentaires ? La durée du reportage ne peut pas être un argument.
Même si le sujet s’ouvre et se termine sur les paroles de la victime, l’extrait choisi de l’interview de Mme Zlatiborka Popov Momčinović, ainsi que les paroles de la commentatrice, n’en sont pas moins faux et destructeurs. Les crimes et la guerre en Bosnie-Herzégovine n’ont pas été une guerre civile entre « ethnies » où chacun aurait « sa propre vision de l’histoire » avec « un phénomène de victimisation généralisé », mais bien une guerre et des crimes avec des perpétrateurs et des victimes, aux causalités politiques et historiques précises. Le génocide de Srebrenica n’est pas « un massacre » comme il est dit dans le reportage, mais bien un crime de génocide à l’intentionalité et à la planification prouvées par le TPIY. C’est un fait, l’historiographie institutionnelle et le droit international ont écrit et établi l’histoire de cette guerre et de ces crimes, et défini précisément les responsabilités politiques et criminelles de chacun.
Pourquoi la rédaction du journal d’arte ne se permettrait jamais de donner la parole à des négationnistes du génocide des Arméniens, du génocide des Juifs ou du génocide des Tutsi, et le font, de cette façon, pour un négationniste du génocide de Srebrenica ? Par ailleurs, ces déclarations sont d’une très grande violence pour les victimes elles-mêmes, le négationnisme continuant à rejeter et à faire disparaître les victimes Bosniaques, but du projet génocidaire des serbes nationalistes.
Nous regrettons que les enseignements reçus dans les écoles de journalisme ne soit pas compris et retenus, notamment ceux qui permettent d’analyser et de déconstruire les biais cognitifs des discours complotistes et négationnistes fondés sur la généralisation et la confirmation – comme ici – la répétition, l’exagération et la falsification, avec toujours ce même renversement du criminel en victime – aux fins de se disculper et de rejeter « la faute » sur la victime – discours commun à tous les négationnismes et à toutes les propagandes génocidaires.
Enfin, nos associations rappellent que lors de l’agression des forces serbes, débutée en avril 1992, des dizaines de milliers de Bosniaques ont été victimes de la « purification ethnique ». Rien que dans la région du nord-est de la Bosnie-Herzégovine comprenant Bjelina, Zvornik, Bratunac, Srebrenica, il y a eu environ 30.000 victimes. Toute cette région, qui avait avant 1991 une population en majorité Bosniaque, a été attribuée par les Accords de Dayton de décembre 1995, à l’entité « Republika Srpska », qui occupe 49% de la Bosnie-Herzégovine, dont toute la région de Srebrenica.
Parmi les quelques milliers de victimes Bosno-serbes de cette région, la grande majorité étaient des militaires tués au cours d’attaques contre les quelques poches de résistance (Cerska-Konjevic Polje, Srebrenica et Zepa). Il y a aussi des victimes civiles Bosno-serbes, mais pas aussi nombreuses que le prétend la propagande serbe, comme en témoigne les enquêtes du TPIY.
Nous vous demandons donc de nous permettre de publier un droit de réponse à ce reportage sous la forme d’une invitation et/ou d’un message diffusé à l’antenne. Nous souhaiterions aussi pouvoir être reçu par le médiateur et/ou un membre de la rédaction.
En espérant que vous accorderez une suite à notre réclamation, recevez, je vous prie, nos meilleures salutations.
Signataires
Solidarité internationale Bosnie-Herzégovine-France, Solidarité Bosnie-Herzégovine à Genève…